La surveillance environnementale de chantier de l’axe routier 73/175

Jeudi 21 mars 2013
Infrastructures de transport, Infrastructures de transport
Vue aérienne de la route 175

Le contexte

L’axe routier 73/175, théâtre de nombreux accidents tragiques, traverse la réserve faunique des Laurentides sur 174 km et relie les régions de Québec et du Saguenay– Lac-Saint-Jean. Cette route constitue le principal lien routier vers la région de Québec pour les quelque 300 000 résidents de la région du Saguenay et est essentielle au développement économique et touristique de la région.

La route 175 traverse un territoire très montagneux. Les pentes de part et d’autre de la route s’élèvent régulièrement à plus de 200 m par rapport à celle-ci. Il en découle des bassins versants qui réagissent très rapidement aux évènements météorologiques (pluie, fonte des neiges), entraînant ainsi un régime torrentiel. Les sols fragiles composés de till et les précipitations abondantes rendent donc le contrôle de l’érosion très complexe.

Cette route a nécessité au total la construction de 300 ponts et ponceaux, le déboisement de 860 hectares de forêt, le déplacement de 17 millions de mètres cube de sol, le dynamitage de 7 millions de mètres cubes de roc et, enfin, 140 aires de rebut ont dû être créées pour récupérer les matériaux impropres à la construction.

Le territoire touché par les travaux est en bonne partie un paradis de la pêche sportive de l’omble de fontaine. On y trouve 850 plans d’eau qui abritent une population allopatrique de cette espèce.

Dans ce contexte, l’un des principaux défis était de réaliser les travaux en limitant les impacts sur la qualité de l’eau et les habitats de l’omble de fontaine. Ce projet qui a traversé le processus d’évaluation environnementale tant au provincial qu’au fédéral était sous haute surveillance de la part du ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs du Québec, de Pêches et Océans Canada, d’Environnement Canada et de Transports Canada.

Considérant les importants enjeux environnementaux cités plus haut et les fortes inquiétudes que suscitait ce projet, le ministère des Transports du Québec a donc investi dans un programme de surveillance environnementale innovateur afin d’atteindre les objectifs de protection du milieu touché. À ce programme de surveillance sont associés trois projets de recherche pour valider l’efficacité des mesures d’atténuation, soit un projet de suivi scientifique sur l’omble de fontaine et son habitat réalisé par l’Université du Québec à Trois-Rivières et l’Université McGill, un projet de suivi de la grande faune réalisé par l’Université du Québec à Rimouski, le ministère des Ressources Naturelles et de la Faune et la firme AECOM et un projet de suivi de la petite faune encore en cours, réalisé par l’Université Concordia.

Pour réaliser le programme de surveillance, le Ministère a mandaté pour toute la durée des chantiers deux firmes privées : la firme Roche pour le tronçon compris entre les kilomètres 84 et 187, soit principalement la réserve faunique des Laurentides; et le Consortium DDM Profaune pour la partie comprise entre les kilomètres 60 et 84, secteur dans la municipalité de Stoneham-et-Tewkesbury.

Au plus fort des travaux, cinq surveillants spécialisés en environnement y travaillaient à temps plein, sur une vingtaine de chantiers distincts, en plus des surveillants en génie routier affectés à chaque chantier. Les surveillants en environnement étaient quotidiennement présents sur le chantier et assistaient à toutes les réunions de chantier. Comme c’est le cas habituellement, le surveillant en génie était le premier responsable de son chantier, à titre de mandataire du Ministère. Le rôle du surveillant en environnement était de s’assurer du respect du devis spécial Protection de l’Environnement, de conseiller et de sensibiliser l’entrepreneur quant au respect de l’environnement au sens large et d’approuver les méthodes de travail de l’entrepreneur pour s’assurer que celles-ci génèrent le moins d’impacts possible sur le milieu récepteur. Le surveillant en environnement se rapportait donc au surveillant en génie et devait lui fournir ses directives, ses mémos de chantier et ses demandes d’application de pénalités afin que celui-ci les transmette à l’entrepreneur.

L’un des éléments clés du succès de la surveillance a été le travail d’équipe entre le surveillant en génie, le surveillant en environnement et le représentant de l’entreprise en construction. Par exemple, lors de travaux pour la mise en place d’un ponceau dans un habitat du poisson, les trois personnes se réunissaient sur les lieux pour établir le plan d’action. L’entrepreneur expliquait sa façon de réaliser les travaux, la séquence des opérations et les mesures d’atténuation qu’il entendait mettre en place. Les deux surveillants émettaient leur point de vue sur les plans technique et environnemental et les trois discutaient de la façon de bonifier la méthode. Après entente sur le terrain, l’entrepreneur consignait la méthode par écrit, puis la soumettait aux deux surveillants pour approbation. Par la suite, l’entrepreneur réalisait les travaux prévus. Le surveillant en environnement était alors présent sur les lieux pour intervenir en cas de situations imprévues.

La gestion de l’écoulement des eaux sur les chantiers fut l’élément crucial permettant de limiter les impacts. Dans un chantier de cette envergure, le drainage change souvent de façon quotidienne au gré des travaux de déblais et de remblais. L’un des défis des surveillants était de faire le suivi quotidien de l’écoulement des eaux, surtout aux frontières du milieu naturel et des surfaces perturbées, de façon à pouvoir ajuster régulièrement la localisation et le type de mesures à mettre en place pour minimiser l’érosion et contrôler les sédiments.

La présence constante des surveillants en environnement a ainsi permis de réagir au fur et à mesure aux situations imprévues et de bonifier les méthodes de travail en fonction du déroulement réel des chantiers. Cette façon de faire était aussi basée sur le respect et le développement de relations humaines dans toute la chaîne d’opération, des surveillants en génie aux surintendants et aux contremaîtres de l’entrepreneur jusqu'à ses employés manuels.

Les outils mis en place

Dans le cadre de ce programme, plusieurs outils innovateurs ont été développés, dont un cahier de surveillance permettant de visualiser les plans du projet et la localisation des mesures d’atténuation sur fond de photos aériennes haute définition. Initialement conçu pour les surveillants en environnement, ce cahier a aussi été très prisé des entrepreneurs qui en ont fait un outil de planification.

Un devis spécial Protection de l’Environnement très détaillé a été élaboré spécifiquement pour ce projet. Celui-ci contenait les exigences à suivre en chantier, dont les mesures d’atténuation décrites dans les évaluations environnementales et les engagements pris par le Ministère, des pénalités en cas de non-respect des clauses contractuelles de même que des points spécifiques au bordereau des quantités et des prix pour le paiement des mesures environnementales. Auparavant, dans la plupart des contrats du Ministère, le coût des mesures environnementales était intégré à même le prix soumissionné pour les différents ouvrages correspondants (ex. : coûts des barrières à sédiments inclus dans le prix unitaire des ponceaux), ce qui rendait plus difficile la mise en place des mesures de contrôle de l’érosion et de la sédimentation.

Dorénavant, en ayant soumis un prix spécifique pour chacune de ces mesures, il est clair pour tout le monde qu’elles doivent être utilisées pour être payées. Cette situation aurait pu engendrer une surutilisation de certaines mesures, mais les surveillants en environnement, aidant l’entrepreneur à mieux planifier son chantier et à installer les bonnes mesures aux bons endroits aux bons moments, ont en fait contribué à diminuer les quantités initialement prévues aux bordereaux.

Cette façon de travailler, avec les mois et les années, a permis de bonifier plusieurs mesures d’atténuation présentées dans les devis afin d’améliorer leur efficacité et de réduire leur coût. De nouvelles mesures ont aussi émergé du climat de collaboration qui a été instauré, comme l’utilisation des rebuts végétaux provenant du décapage des sols (souches, branches, mousse, etc.) pour contrôler l’érosion. Cette matière première est abondante, omniprésente sur les chantiers et agit efficacement comme filtre pour les eaux de surface.

Compte tenu du très grand nombre d’intervenants en matière de protection de l’environnement, il a fallu établir un mode de communication afin d’assurer la transparence relativement à ce qui se passait sur le chantier. Un outil de communication original a été mis en place par le Ministère, soit un site FTP où les observations quotidiennes des surveillants en environnement étaient consignées dans leur journal de chantier, et même le calendrier de travaux de l’entrepreneur et les comptes rendus de chantier y figuraient. Tous les partenaires avaient donc le loisir de consulter ces documents afin d’assurer une discussion ouverte lorsqu'un problème survenait. Cette façon de faire a permis d’établir un climat de confiance entre les différents organismes responsables de la protection de l’environnement et d’en faire des collaborateurs plutôt que des inspecteurs.

Une nouvelle approche pour les chantiers majeurs

L’approche retenue a également systématisé les façons de faire, notamment en exigeant un plan d’action de la part de l’entrepreneur pour qu’il planifie ses méthodes de travail en tenant compte des particularités environnementales du milieu, et en ayant un spécialiste en environnement présent à toutes les réunions de chantier pour discuter des évènements passés et des façons de s’améliorer. Ce plan d’action devait être déposé et approuvé avant le début de chaque chantier. Une nouvelle approche a été de tenir une réunion exclusivement réservée aux aspects environnementaux, en plus de la réunion usuelle de démarrage pour le traitement des aspects administratifs et techniques. Au cours de cette réunion, le responsable environnement du Ministère et le surveillant en environnement étaient présents afin de s’assurer de la compréhension de l’entrepreneur quant aux clauses du devis spécial Protection de l’Environnement, et de lui exposer les particularités propres à son chantier, notamment les composantes fragiles du milieu récepteur.

Une autre première : un accueil « environnement » obligatoire destiné à tous les travailleurs de chacun des chantiers. Cet accueil a permis de leur expliquer, de façon vulgarisée et à l’aide d’une présentation projetée sur un écran, la fragilité du milieu dans lequel ils allaient travailler, les impacts que leurs actions pourraient entraîner et, en leur donnant des exemples clairs à l’aide de photos, ce qu’ils pourraient faire pour minimiser les répercussions.

Les coûts et les économies associés à ce programme

Pour chaque chantier, le concepteur a établi une estimation des quantités de chacun des ouvrages ou des points à mettre en oeuvre pour assurer une protection adéquate de l’environnement et a préparé à cet effet, comme mentionné précédemment, un bordereau des quantités et des prix associé au devis spécial de Protection de l’Environnement. Ce qui est remarquable, c’est que les quantités réellement employées en chantier ont été significativement moindres de 30 à 40 % que celles qui avaient été prévues dans les contrats.

Partager l’expertise acquise

Le projet de réfection de l’axe routier 73/175 est devenu avec les années un véritable chantier-école non seulement en ce qui concerne la surveillance environnementale de chantier, mais aussi dans des domaines aussi divers que l’aménagement de passages fauniques pour la grande et petite faune, la gestion des eaux de ruissellement et l’aménagement d’habitats aquatiques. De nombreux organismes ont profité d’une visite de chantier pour venir s’inspirer de ce qui a été fait sur cet immense chantier. À titre d’exemple, des organismes comme Travaux publics Canada, Défense nationale du Canada, Pêches et Océans Canada, plusieurs classes de cégeps et l’Agence canadienne d’évaluation environnementale sont venus voir ce fameux chantier et ce, sans compter les visites des diverses unités administratives du ministère des Transports et d’autres ministères québécois responsables de la protection de la faune et de l’environnement. Les professionnels responsables de ce programme au Ministère ont de plus fait de très nombreuses présentations à des publics cibles afin de faire connaître les avancées sur le plan de la protection de l’environnement dans les grands chantiers de génie civil. En 2011, pour le programme de surveillance environnementale de la 175, le Ministère s’est vu décerner le prix de réalisation environnementale de l’Association des transports du Canada avec le mandataire du programme, la firme Roche, qui a su relever le défi avec brio.

Ce programme de surveillance environnementale de chantier élaboré par le Ministère et réalisé par les firmes Roche et DDM Profaune a permis de changer les façons de faire et de les faire évoluer en sensibilisant les entrepreneurs en formant les intervenants et en développant une expertise en la matière tant concernant les organismes publics que des firmes privées. L’axe routier 73/175 constitue maintenant « le projet de référence au Québec » en matière de programme de surveillance environnementale des travaux.

Sur la toile

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transports-edition-printemps-2024-est-disponible
17 juin 2024

AQTr

https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/plan-daction-2023-2026-en-matiere-de-securite-sur-les-sites-de-travaux-routiers-des-milieux-plus-securitaires-pour-les-travailleurs-en-chantier-routier-49256
4 juillet 2023

MTMD

https://aqtr.com/association/actualites/revue-routes-transport-edition-printemps-2023-est-disponible
4 juillet 2023

AQTr